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En octobre 1804, Joseph Rey, étudiant pauvre, autodidacte, ami de Stendhal et "pour toujours acquis à la grande cause de notre admirable révolution", écrit à Destutt de Tracy. Celui-ci est sénateur, membre de l’Institut, mais surtout le chef de file, avec Cabanis, des Idéologues, ces philosophes héritiers des Lumières qui, quelques années auparavant, étaient les penseurs quasi-officiels du Directoire et les éclaireurs des espérances de la République. Bientôt suivie de nombreuses visites, cette première lettre est à l’origine d’une longue et riche amitié, jalonnée d’une correspondance qui s’étale sur les dix années de l’Empire. Les lettres de Destutt de Tracy à Joseph Rey ne constituent pas une correspondance philosophique, comme l’est par exemple celle échangée à la même époque avec Maine de Biran. En revanche, elles représentent une source importante pour la connaissance de la vie, de la personnalité et de l’itinéraire intellectuel de l’auteur des Eléments d’idéologie et du Commentaire sur l’Esprit des lois de Montesquieu. Au delà des considérations sur la vie quotidienne, au delà des interventions de Destutt de Tracy pour favoriser la carrière de magistrat de son jeune protégé, elles apportent un éclairage mal connu sur la façon dont le philosophe a vécu le régime de liberté très surveillée de l’Empire, sur la difficulté qu’il eut à poursuivre son œuvre dans un tel contexte historique ainsi que sur la véritable dépression qui le frappa entre 1807 et 1811.